Monter sur scène
Dimanche 15 Juin 2025
par Flo
C’est une fin de journée ordinaire comme beaucoup d’autres. L’histoire se répète avec la faveur et la surprise de ne jamais nous ennuyer. Je prends le chemin du Laminoir et débarque dans ce drôle de quartier aux contours un peu flous. Plusieurs mondes semblent y cohabiter, nous aidant ainsi à y passer inaperçus. Je n’y avais jamais mis les pieds auparavant mais il m’est devenu doucement familier avec le temps. J’accroche mon vélo à son fidèle poteau. Il est disponible et ce détail m’indique que je suis certainement le premier arrivé. Par un geste athlétique devenu routinier et aisé avec le temps, je soulève cette vilaine porte de garage, arborée d’un simple sticker gris affirmant notre identité avec discrétion. Elle matérialise l’entrée vers un autre monde. Je me glisse alors dans l'obscurité du lieu qui malgré son silence, semble m’accueillir à chaque fois un peu plus. Le parfum du bois est bien là, complice silencieux de nos rendez-vous quotidiens. Il est mélangé à celui de la poussière et des tapis imprégnés de magnésie, créant ainsi une odeur devenue rassurante et familière. J'appuis maintenant sur l'interrupteur, braquant ainsi avec force la lumière des projecteurs sur notre théâtre d’expression. Il y a toujours cet instant de redécouverte, cette impression écrasante qui nous rappelle que la gravité semble un peu plus forte ici. Je crois connaître les moindres détails de ce mur. Je reste néanmoins un instant à observer notre création à travers des yeux vagues et fascinés comme devant un feu de cheminée. Ces formes uniques que nous avons imaginées et façonnées ont une identité. Parties de rien et vissées là, elles ont maintenant une histoire et participent à la création de gestes inédits. Les premiers contacts avec le bois sont timides et respectueux. L’accueil et l’acceptation conjointe avec l’épiderme peut parfois prendre du temps. Il faut être à l’écoute de chaque contact, de l’orteil à l’index et jusqu’à ressentir le paradoxe de la douceur se mêler à l’intensité des efforts. Le bruit sourd du contact avec le bois précède celui du grincement typique des phalanges qui se ferment avec force sur la prise. Cette signature acoustique indique que le panneau est maintenant prêt à accueillir le grimpeur. Mais cette belle matière qu’est le bois, noble et naturelle, est aussi drastiquement intolérante à la faiblesse. Son exigence nous rappelle que le moindre relâchement nous enverra au tapis. Ces vieux DIMA d’ailleurs, probablement d’anciens occupants de pauvres gymnases scolaires, vivent maintenant leur meilleure vie : ils forment aujourd’hui une sorte d’estrade mettant en valeur une scène qui attend ses artistes. Les voilà enfin qui arrivent. Ces artistes, ces habitués et leur bonne tête, toujours le sourire aux lèvres mais la détermination au fond du regard. Tout le monde semble heureux d’être là, même si personne ne vient vraiment pour prendre du plaisir. C’est en effet une école de l’exigence et de la modestie. Ce laboratoire du geste ne se laisse pas si facilement apprivoiser. Mieux vaut prendre soin de sa relation avec l’échec et laisser son égo aux vestiaires. Par ailleurs, dans ce lieu aux apparences hostiles, la bienveillance règne. Contrairement à beaucoup de salles d’escalade, quand c’est à votre tour de grimper au Laminoir, la place vous appartient. On vous regarde, on vous encourage et on vous soutient. Le résultat n’a pas d’importance. L’important, c’est d’être ici et que vous soyez montés sur scène.